Viviane michel : portrait d' artiste

Poétique et organique, le travail de Viviane Michel échappe aux cadres, entrelaçant dessin, peinture, couture, sculpture, broderie… D’une grande finesse, ses œuvres sont chargées de mystères et de symboles. A l’instar des Contes à Margot, livre doublé d’une exposition, dont elle signe les vibrantes images.

Viviane Michel croit aux fées. Ou plutôt, elle croit, “comme beaucoup de gens, à ces choses invisibles, qui échappent à l’entendement humain”. Le simple entretien d’un jardin suffit par exemple, remarque-t-elle, à observer l’influence des saisons et de la lune sur le vivant, ou bien à constater les interactions insoupçonnées qui se nouent entre les plantes, sans que jamais elles ne soient en contact physique…

Une fée, Viviane en a rencontré une en 2015, sous les traits d’une chirurgienne. Cette praticienne aux doigts magiques l’a sauvée d’une  paralysie, qui menaçait de l’immobiliser à vie. Suite à cette lourde et complexe opération de neurochirurgie, elle rend hommage à la médecin en réalisant une œuvre inspirée par l’extrême précision du geste chirurgical. Opérant à l’aide d’une loupe, elle trace, avec une patiente passion, des dessins ultra détaillés, que viennent suturer des fils ou des broderies d’une exquise finesse. Prolongation et hommage filiale aux gestes de sa grand-mère et sa mère, toutes les deux couturières et tricoteuses.

Fondatrice, cette œuvre va transformer radicalement son travail artistique, jusqu’alors tourné vers l’abstraction. Dès lors, elle multiplie, avec une impressionnante créativité, les livres d’artistes. Dans ces objets-livres, produits en un seul exemplaire, s’expriment son goût pour l’exploration des formes, sans cesses renouvelées – livres en accordéon (leporello), colimaçon ou rouleau -, comme pour l’hybridation des médiums : s’y entrelacent mots, dessins, peintures, broderies ou tissages.

Le descriptif de chaque œuvre constitue déjà un poème en soit. Comme par exemple celui du livre Quand les premiers flocons tombèrent : « Leporello de 28 pages composé de dessins originaux : feutres fins noirs, crayons de papiers et de couleurs sur du papier très ancien – Broderie indisciplinée – Reliure en Frêne tourné par Nicolas Mareau – Couverture en laine tricotée – Texte manuscrit. Livre conservé dans une boite cartonnée peinte à l’huile blanche ».

On ouvre ses livres, souvent sertis dans un écrin – sac en tissu, bois tourné ou coffret cartonné -, comme on ouvrirait un cadeau. Une boîte à trésors dont l’ouverture dévoile un secret, quelque chose de caché, intime et précieux.

La plasticienne qui, hors micro, nous confie craindre ne pas trouver les bons mots en interview, démontre dans ses livres ses talents de poète. Profonds et musicaux, ses mots, qu’elle découpe dans des vieux livres ou qu’elle signe de sa main, l’on voudrait les répéter, comme l’on fredonne une chanson dont on n’aurait jamais terminé de saisir le sens…

Louve y es-tu ?

Des fées, sans doute Viviane Michel en a-t-elle pour voisines, parmi les collines et les bois de ce magnifique coin des Coëvrons, à quelques kilomètres de Bais, où se niche son « atelier-maison ». Née en 1976 à Bayonne, cette quarantenaire aux yeux sombres et à la longue chevelure bouclée a longtemps vécu entre Toulouse et le Pays basque, où elle a grandi, face à l’océan. La mer, et l’eau au sens large, rejaillissent d’ailleurs souvent dans ses œuvres, voiles de navire colorées, tissus aux plis comme des vagues, tâches aux couleurs vives et profondes qui se muent en paysages aquatiques…  

« J’ai toujours vécu en ville, dans des appartements. Il y a quelques années, j’ai ressenti le besoin de vivre à la campagne, connectée au vivant, dont je m’étais coupée depuis trop longtemps ». En 2019, elle débarque en Mayenne par hasard, pour suivre un stage de tissage à l’Atelier du Haut-Anjou. Les rencontres qu’elle y fait, tout comme « la lenteur » avec laquelle semble s’écouler la vie ici, la séduisent. À tel point qu’elle caresse l’idée de revenir y résider. De retour au Pays basque, elle rencontre son futur compagnon, un… Mayennais originaire de Bais !, qui rêve lui aussi de retour au pays. En 2021, le couple déniche l’accueillante maison de pierre où il vit aujourd’hui, au milieu des champs et des bois.

Ce nouveau lieu de vie infuse dans le travail de la plasticienne. Arbres, fougères, pierres, oiseaux et autres animaux sauvages peuplent ses œuvres. Telle cette louve, motif récurrent qui évoque pour elle la maternité, figure « protectrice et parfois étouffante ». Fables intimes, ses livres d’artiste ou ses dessins composites racontent des histoires chargées de mystères et de symboles, comme dans les contes et les légendes dont elle aime s’inspirer.

Qu’elle illustre Les Contes à Margot s’imposait donc comme une évidence. Collectés en Mayenne, autour de Sainte-Suzanne et Saulges, et transcrits par l’écrivain et réalisateur Pierre Guicheney, ces contes mettent en scène un saint thaumaturge, une source ou des roches miraculeuses, et surtout la puissante et vénérée fée Margot… En octobre 2023, la Bibliothèque départementale de la Mayenne publie un recueil de ces légendes locales, dont Viviane Michel signe les images. Complétant ce livre, une exposition circule aussi, jusqu’à fin janvier, dans les médiathèques du département.

À l’image de ce projet réalisé à quatre mains, la plasticienne aime travailler en duo, comme elle le fait régulièrement avec son compagnon, Nicolas Mareau, artisan tourneur sur bois, ou dernièrement avec l’artiste Constance Villeroy. Elle voit dans ces collaborations autant d’occasions d’explorer, par des chemins inédits, d’intérieures profondeurs qu’elle ignore encore.